21 Décembre 2015
En feuilletant récemment un dossier du fonds Edna Bergevin, nous avons découvert une coupure de journal racontant un conte de Noël. En le reproduisant ici, le Centre d’archives vient à sa façon vous souhaiter de joyeuses fêtes. Que ce Noël demeure gravé dans l’esprit des plus jeunes et leur inspire un jour de très beaux contes. Joyeux Noël!
Un Vrai conte de Noël par Jean-Pierre Bergevin
À mon frère Robert qui dans son cœur partage ces mêmes souvenirs.
C’était le 24 décembre. Depuis la fin d’octobre Pierre et Robert s’efforçaient par tous les moyens possibles de créer cette ambiance de Noël dans la maison. Robert, toujours un peu plus artiste que son frère, avait orné chambre et sous-sol d’images et de découpures de revues de toutes sortes : des visages rouges et joufflus du Père Noël, des chandelles à flamme jaune et lumineuse, des traîneaux remplis de cadeaux. On jouait aussi au Père Noël depuis un bon bout de temps déjà. Tout ça dans l’espoir que ce jour magique arrive plus tôt. Depuis le matin Edna se faisait aller dans tous les sens ; dinde au four, rôti de porc à faire cuire, la farce à faire, la bûche de Noël à décorer, sans oublier les cadeaux de dernières minutes. Rodolphe lui était parti faire sa petite tournée en ville. Lui aussi, comme ses fils, avait déjà acheté ses cadeaux, mais ce matin il lui fallait bien acheter un petit « quelque chose » à Gérard et Armand. Ses frères, c’était pas des « fêteux »; mais même si à chaque année il jurait que c’était la dernière fois qu’il se dérangeait pour eux, la magie de Noël s’emparait de lui le 24 décembre et il oubliait ses promesses.
C’était dans ce beau milieu que Pierre et Robert vivaient la veille de Noël. Ce jour tant attendu se passait dans le calme et l’amour, les cantiques et les chants de Noël, dans l’oubli le plus complet des petites chicanes si fréquentes au cours des douze derniers mois. Tout se déroulait selon les habitudes acquises avec le passage des années. La tradition s’était vite installée dans cette petite famille de quatre et les liait tous père, mère et fils.
Le temps était disparu… plus d’heure précise; chaque activité était presque rituelle (tout tombait dans l’ordre). Au courant de l’après-midi, Jean était venu saluer Rodolphe. Autour d’une petite bière, on parlait du réveillon « au coin », comment Noël changeait donc d’une année à l’autre. Plus tard, c’était Louis qui, après une grosse journée au magasin, venait à son tour commencer à fêter Noël avec les Bergevin. Sa visite de « quelques minutes » finissait toujours par se prolonger d’une demi-heure ou deux… que voulez-vous d’un petit « rye » à l’autre, le temps passe vite! D’un événement à l’autre, le soleil froid du 24 décembre s’était couché. La venue de la noirceur les plongeait en plein dans la nuit de Noël. Et le temps qui était disparu leur revenait sous forme de joie… la plus intense des joies; 7 heures! Il fallait partir; c’était le temps d’aller chez Pepére Lamarche. Toute cette belle journée de joie tranquille faisait place à la magie de cette dernière soirée : Noël en campagne.
Assis au chaud de la vieille Chevrolet, entre Edna parfumée et toute belle et Rodolphe bien « chequé », Pierre et Robert entraient dans le rang 4 et 5. C’était une longue montée sur un petit chemin perdu entre deux immenses bancs de neige. En faisant le croche du lac, ils se redressaient pour admirer une dernière fois le beau père Noël de Mme Levasseur. Et dans le remontant de la longue colline, au plus loin dans le rang, une lumière plus brillante, plus chaude que les autres les attirait : elle venait de la maison du coin : Memére Lamarche les attendait.
Trois pas à franchir et les voilà enveloppés dans cette belle lumière toute chaude de la vieille maison. Memére Lamarche laisse de côté sa bûche et vient accueillir deux autres de ses petits-enfants. La maison est remplie de Noël. Ça sent la tourtière, le rôti de porc, les bonnes galettes fraîches. Manteaux enlevés, elle les amène droit dans le salon. Quelle surprise! Les cousines Pierrette et Pauline sont déjà là. Elles aussi sont venues attendre le Père Noël. Raymond et Denise sont là aussi. Déjà Raymond, dans le plus grand des secrets entretient Robert et Pierre de son plan de ne pas dormir cette nuit : « Cette année, le Père Noël, on va le voir! », leur dit-il. Et au fond du grand salon, où on sent la bienveillante chaleur du gros poêle en étain… un gigantesque arbre de Noël. À lui seul, il prend presque la moitié du salon. Sous ses longues branches, on n’y trouve que quelques petits cadeaux. Il fallait bien s’y attendre : le Père Noël n’était pas encore passé.
Et tout le reste se déroule comme dans un rêve. Les oncles et les tantes arrivent tous les uns après les autres. Grand-père Arthur, malgré son attrait particulier pour ses petits-enfants, les accueille tous, leur offre le petit coup traditionnel… vite avant 9 heures si on veut aller communier à la messe de minuit! Dans la cuisine, Memére Lamarche est retournée à la préparation du réveillon; tout le monde y sera; il faut se dépêcher! Malgré son travail, elle a toujours le temps de sourire à ces petites mains qui viennent s’accrocher à son tablier : « Memére… faut-tu aller se coucher bien vite ? » Avec un rire aussi chaud que ses belles mains elle prend dans ses bras ce petit dernier et avec l’aide de tante Jacqueline et tante Hélène, tous les enfants se dirigent vers l’escalier en criant un dernier « bonne nuit » aux parents qui se préparent à reprendre la montée pour aller à la messe de minuit. Les marches craquent une à une et on se laisse engouffrer dans le noir du haut de la maison. On amène Denise, Pierrette et Pauline dans la chambre des filles. Raymond lui, tout radieux d’avoir de la compagnie, conduit Pierre et Robert vers son grand lit. Pyjama enfilé, tout le monde est au lit. La lumière se ferme parmi les rires étouffés sous les lourdes couvertures. Tout est noir sauf pour la lueur sur le mur; c’est la lumière de la cuisine qui pénètre par le petit carreau à côté de la dernière marche de l’escalier. Le calme se répand dans toute la maison. Seule en bas, Memére Lamarche place les assiettes autour de la grande table de la cuisine.
Les trois garçons dans leur nid d’attente frappent contre le mur pour dire aux filles de se taire… sinon le Père Noël ne viendra pas. Le temps passe lentement dans ce beau calme des dernières heures d’attente… le sommeil commence à se faire sentir… Raymond pousse Pierre, « Dors pas tout de suite! Je pense que je l’ai vu arriver par la montée de Fairbank!» Pierre tout énervé réveille Robert et les voilà tous les trois assis dans le grand lit qui écoutent attentivement. On entend presque les battements de cœur. Soudainement, Memére Lamarche cesse de brasser les assiettes ; ses pas se dirigent vers la porte… « Il frappe, il frappe, écoutez! » dit Robert tout blanc! Toc! Toc! Toc!
Je me lève soudainement la tête, tout perdu. Où suis-je? Toc! Toc! Toc! Mon Dieu! J’ai les pieds presque rendus sous mon arbre de Noël! Je me suis endormi en écoutant de la musique; le disque est fini et comme d’habitude, le bras automatique ne fonctionne pas.
La maison au coin, l’arbre de Noël, la nuit, les pas de grand-mère, l’odeur de la tourtière… tout disparaît dans la réalité de mes 30 ans et retournent au fond de mon cœur dans cette partie de moi qui est enfant et qui voudrait encore tellement vivre!
Source: Journal Le Nord, le 19 décembre 1979, p.D3.
Reproduite à partir d’une coupure de journal découverte dans le Fonds Edna Bergevin.
Photo : Freeimages, Christmas bacground p. 1.