16 Décembre 2014
En raison de l’intérêt suscité par la description de la mosaïque de la Bibliothèque Maurice-Saulnier, nous reproduisons en entier et telle quelle l’entrevue que Mgr Louis Levesque avait accordée à Gérard Bordeleau, en 1960. En plus de décrire et d’expliquer l’aspect liturgique et artistique des objets religieux destinés à la nouvelle chapelle, le texte traduit bien l’esprit de l’époque, tant par son style que par ses formules de bienséance. Au début des années 1970, on a transformé la chapelle en bibliothèque et les objets religieux ont été installés dans des églises du diocèse de Hearst. Ainsi, le crucifix, qui est aujourd’hui suspendu dans la cathédrale de Hearst, a d’abord orné la chapelle du Séminaire.
Si vous souhaitez en connaitre davantage au sujet de l’artiste Wilfrid Corbeil ou du mosaïste Josef Iliu, vous trouverez quelques références bibliographiques à la suite de l’entrevue.
Bonne lecture!
Au sujet de notre NOUVELLE CHAPELLE, Gérard BORDELEAU interroge Son Exc. Mgr le Supérieur.
Q Permettez que je vous remercie tout d’abord, Excellence, de m’accorder cette entrevue. Vous savez que je viens au nom de l’équipe de rédaction de notre journal étudiant, LE BORÉAL, vous poser quelques questions au sujet des travaux d’intérieur actuellement en cours dans notre future chapelle. On nous dit qu’elle sera une magnifique œuvre d’art et vous comprenez qu’il nous tarde d’y avoir accès.
R Patientez encore un peu, mon cher Gérard, et nous irons tous y prier ensemble, probablement avant la fin de la présente année scolaire. Si nous avons discontinué les travaux, pendant un an, une fois le gros œuvre terminé : fondations, murs, planchers, fenêtres et toit, c’est pour trois raisons principales. La première, c’est que notre chapelle actuelle, l’ancienne cathédrale, pouvait encore accommoder tous nos élèves pendant l’année scolaire 1959-1960. La deuxième est que ce délai permettait à notre Procureur de respirer quelque peu après un effort considérable. Et troisièmement, les artistes à qui l’on avait confié la décoration intérieure et l’ameublement demandaient du temps. Il leur fallait attendre l’inspiration, disent-ils…
Q Vous parlez d’artistes, au pluriel, Monseigneur; il y en a donc plusieurs?
R Oui et non. Il s’agit d’un travail d’équipe. Lorsque l’architecte Lucien Deléan, de North Bay, a élaboré les plans généraux de notre Séminaire, je lui ai demandé de travailler en étroite collaboration, pour ce qui était de la chapelle, avec un prêtre, le Père Wilfrid CORBEIL, de Joliette, artiste de grande renommée et spécialiste en architecture religieuse. Les deux étaient donc responsables de l’ensemble, le premier au point de vue architectural, le deuxième, aux points de vue artistique et liturgique. Il était entendu que le Père Corbeil confierait ensuite à divers artistes l’exécution des pièces dont il aurait fait, lui, responsable en chef de la décoration et du mobilier, un choix harmonieux.
Q Puis-je vous demander, Monseigneur, sur quels artistes s’est porté le choix du Père Corbeil?
R L’autel a été confié au sculpteur Armand Filion, professeur à l’école des Beaux-Arts, de Montréal. Sur le socle sont représentés en bas-relief le Christ et les douze apôtres. Placé au centre de notre chapelle, ce bel autel de pierre Indiana nous aidera à mieux comprendre la dernière Cène, l’institution du Sacerdoce et de l’Eucharistie, le sacrifice de la Messe et la sainte Communion.
Le tabernacle aura la forme d’un écrin. Il sera de cuivre doré, orné de labradorites (pierres précieuses du Labrador). De forme plutôt basse, pour ne pas gêner le champ de vision de ceux qui assisteront à la messe en face de l’autel. Le dessin est du Père Corbeil; l’exécution, des célèbres orfèvres BEAUGRAND.
Le crucifix sera suspendu à la voûte par deux chaînes dorées. Sous la forme d’une large croix, œuvre du céramiste Shabaeff, de Napanee, il représente, d’un côté, le Christ en croix, la Sainte Vierge et saint Jean, et, de l’autre côté, le Christ-Roi. La lumière tombant des fenêtres triangulaires de la voûte devrait envelopper d’un bel effet lumineux, l’autel, le tabernacle et le crucifix. Des projecteurs et un rhéostat pourront, le soir, produire les mêmes effets.
Q On m’a dit, Monseigneur, que la table de communion serait circulaire. Ai-je été bien informé?
R Oui, pour accentuer le sentiment de fraternité autour de l’autel, surtout à la messe et à la communion. La balustrade sera de fer forgé; la rampe, de cuivre doré.
Q Aurons-nous un nouvel ostensoir, de style harmonisé à tout ce nouveau mobilier liturgique?
R Oui encore, et il n’en sera certes pas la partie la moins originale. Il sera d’inspiration interplanétaire, si je puis dire, bien conforme à la science d’aujourd’hui. La gloire en sera formée de dix cercles d’or entrelacés, ornés de zircons aux points d’intersection, comme autant de satellites placés en orbite autour de la lunule, de la sainte Hostie. Vous verrez…
Q Et les murs, Monseigneur?
R Vous savez qu’il y en a huit. Le premier est ouvert à l’entrée de la chapelle, du côté nord. Le suivant, vers l’est, présentera l’aspect d’une grille derrière laquelle se tiendra l’organiste. Les 3e, 5e et 7e murs, comme vous pouvez le voir de l’extérieur, sont percés de petites fenêtres verticales qui éclairent discrètement la chapelle de tons or et bleu. Le 4e mur sera orné de 7 stations du chemin de croix; de même le 8e. Le dessin et l’exécution de chacune des 14 stations sont d’une artiste féminine : Mona.
Q Si j’ai bien compté, Monseigneur, vous n’auriez pas encore parlé du 6e mur, celui qui donnerait vers le sud-ouest?
R Je le gardais pour le dessert. Ce mur fera face au prêtre, lorsqu’il célébrera la messe. Presque en son entier, il sera couvert d’une grande mosaïque de 12 pieds de hauteur par onze de largeur. Y seront représentés : la très Sainte Vierge, patronne de notre Séminaire, et deux étudiants. Le premier dans l’attitude de la prière, le deuxième figé dans un geste qui indique l’étude et la recherche de l’orientation. Les deux dans les plis du manteau de la Madone, à qui ils sont confiés. En arrière-plan, des objets à peine indiqués qui sollicitent l’attention des jeunes : un avion, un clocher d’église, d’autres constructions modernes, dans un ciel tourmenté… Plus quelques épinettes pour la couleur locale. Le dessin est du Père Corbeil. L’exécution est confiée au mosaïste Illiu. Les matériaux employés : mosaïque de marbre pour les figures et les vêtements; de verre, d’émail byzantin, d’or et de céramique pour le reste de l’ensemble. Une splendeur qui figurerait dignement, me dit-on, même dans les grandes expositions universelles. Une évocation symbolique du travail de formation et d’orientation que nous poursuivons ensemble, personnel et élèves de notre maison, sous la protection de Notre-Dame, Secours des chrétiens.
Q Une dernière question, Monseigneur, peut-être intéressé de ma part : les bancs?
R Rassurez-vous, mon cher Gérard, vous pourrez vous asseoir sur de très beaux bancs, qui seront appelés eux aussi, en plus de leur fonction première, à embellir l’effet d’ensemble de tout le mobilier. Disposés en huit secteurs de quatre rangées, comme autant de cercles autour de l’autel, ils seront de frêne pâle très veiné, aux ramures verticales, contribuant ainsi pour leur part à cette optique de montée vers le puits de lumière de la voûte que tous nos artistes ont voulu créer.
Q Et combien de personnes pourront s’y asseoir?
R Environ deux cents, compte tenu des formats toujours inégaux de nos élèves, depuis les grandis-trop-vite, comme toi, Gérard, jusqu’aux grandiront-demain, comme…
Q Je ne voudrais pas abuser de votre bienveillance, Monseigneur, mais avant de vous dire merci et de me retirer, je ne voudrais pas manquer de vous dire combien nous sommes fiers de la partie de notre Séminaire que nous occupons depuis un an et demi et quelle hâte nous avons d’y ajouter notre nouvelle chapelle. Et puis-je vous demander, en terminant, s’il n’y aurait pas d’autres questions auxquelles vous vous attendiez de ma part?
R Des questions, il y en aurait tellement! Je sais que vous ne manquez ni de saine curiosité ni d’intérêt à la vie de notre maison. Mais attendons que les travaux soient terminés. Nous verrons alors de nos yeux un ensemble coordonné de merveilles, et nous pourrons mieux nous interroger à leur sujet.
D’ailleurs, avant de bénir notre chapelle et d’en consacrer l’autel, en mai ou juin, je l’espère, je me propose d’aller avec vous tous, sur place, et de vous expliquer autant que je le pourrai les intentions de notre architecte, du Père Corbeil et de chacun des artistes. Vous jugerez par vous-mêmes. Vous verrez dans quelle mesure ils ont atteint, d’après vous, leur idéal. Il vous restera d’essayer de faire aussi bien, peut-être mieux, dans la pleine réussite de votre vie personnelle.
Les motifs qui ont guidé les autorités du Séminaire sont les suivants : La plus belle pièce de notre maison devait être la chapelle. Dans un Séminaire, fondé tout d’abord pour préparer les prêtres de demain et aussi des professionnels et apôtres laïcs sur qui l’Église pourra compter, la chapelle doit être, dans toute la mesure du possible, une inspiration, une école de formation. L’art déployé et les valeurs investies à bien loger le Bon Dieu sont un placement de tout repos, à long terme de rendement.
Sur ce point principal, comme sur plusieurs autres, nous voulons qu’une œuvre de grande beauté inspire la légitime fierté de nos élèves, de tout notre diocèse. Notre foi et notre confiance en Dieu nous assurent que s’il est premier et royalement servi, les secours de la divine Providence ne manqueront pas à la poursuite de notre admirable entreprise.
Vous nous faites tellement confiance, Monseigneur, et vous placez en nous de si grands espoirs que j’en suis tout confondu.
Au nom de chacun des élèves, je vous remercie de vous être prêté de si bonne grâce à toutes mes questions et de nous avoir donné un magnifique avant-goût de ce que sera bientôt notre chapelle.
Gérard BORDELEAU, élève de Belles-Lettres.
Boréal,Journal étudiant, no 2, 1960, p. 8-10.
Références bibliographiques.
Pageau, René. (1973). Wilfrid Corbeil. [Montréal : C.S.V.]
Ionesco, Eugène. (1973). Les murs canadiens de Joseph Iliu. Paris, France : ARTED.
Doucet, D. (1998). Un art morderne public au Québec sous Maurice Duplessis. Les ceuvres murales non commémoratives. The Journal of Canadian Art History/ Annales d’histoire de l’art canadien, XI (2), p. 32-70.